Seconde 6. Un mythe à découvrir: Médée l'infanticide, aux origines de la passion tragique

Publié le par Mme Gémond

 

En complément des textes de Racine et Corneille, lire le texte d'Euripide, dramaturge grec du Vème siècle avant J.C.

 

 

Médée, aux origines de la passion tragique 

 

Accueillis à Corinthe, Jason et Médée, couple de princes déchus, s'y installent. Ils y élèvent leurs deux fils. Après quelques années, la fille du roi de Corinthe est en âge de se marier. L'ambition de Jason est intacte. Il ne s'accommode guère de cette vie d'exilé sans avenir et se sent éclipsé par l'éclat de Médée, à qui il doit certes d'avoir été sauvé deux fois de justesse mais aussi d'être condamné à cet exil. Il finit donc par répudier Médée et épouser la princesse royale. Médée, blessée au plus profond d'elle-même et noyée de chagrin, ourdit des projets meurtriers de vengeance à l'encontre de Jason, de sa nouvelle épouse et de Créon. Plutôt que de tuer Jason, elle préfère lui enlever toute raison de vivre. Ainsi, sous prétexte d'exempter ses enfants de l'exil, elle les charge après une feinte réconciliation avec Jason, d'offrir une magnifique parure - enduite de poison - à la jeune mariée. Celle-ci, charmée, la revêt immédiatement et meurt dans d'atroces souffrances, tout comme Créon qui tente en vain de la sauver. Médée, tout en étant tiraillée par l'amour maternel, tue ses deux enfants en avançant comme justification de les faire échapper à la vindicte des Corinthiens. Au moment où Jason découvre ce double meurtre, Médée du haut d'un char aérien qu’Hélios (le Soleil) lui a envoyé, nargue cruellement Jason en lui refusant notamment de rendre tout hommage funèbre à ses deux fils.

 

JASON

Ô femme la plus haïssable, toi que les dieux exècrent le plus, et moi aussi et tout le genre humain... Contre tes propres enfants tu as osé porter le fer, toi qui les a mis au monde... Tu m'as tué en me privant de mes enfants... Et dire qu'après avoir fait tout cela, tu contemples le soleil et la terre, toi qui a osé l'acte le plus impie ! Si tu pouvais périr...

Moi, maintenant je comprends... Je n'avais rien compris avant, lorsque je t'ai fait quitter ton palais et ta terre barbare pour une maison grecque, toi ce grand fléau, toi qui trahissais ton père et la terre qui t'avait nourrie ! Le génie vengeur de tes crimes, c'est contre moi que les dieux l'ont lancé, car tu venais de tuer ton frère (1) dans votre foyer quand tu t'es embarquée sur Argo à la belle proue...

C'est comme ça que tu as commencé. Toi qui as épousé celui qui te parle et m'as mis au monde des fils, c'est pour défendre ton lit d'épouse que tu les as tués ! Il n'y a aucune femme grecque qui aurait osé cela... Ces femmes auxquelles je t'ai préférée comme épouse... Je me suis engagé avec une ennemie qui a causé ma perte, avec une lionne, pas une femme, car tu as une nature plus féroce que Scylla (2) la Tyrrhénienne...

Mais, bien sûr, ce n'est pas avec des reproches sans fin que je pourrais te mordre. Quelle impudence est en toi ! Va-t-en à ta perte, infâme scélérate souillée du sang de tes enfants !

Sur moi, sur mon destin, je ne peux plus que gémir : je ne connaîtrai pas les joies de mon nouveau mariage et les enfants que j'ai engendrés et élevés pour moi, jamais plus je ne pourrai leur parler, à eux vivants... Je les ai perdus.

 

MÉDÉE

J'aurais beaucoup à répliquer à ces propos, si Zeus, père de l'univers, ne savait pas tout ce que tu as obtenu de moi et comment tu m'as traitée. Tu n'allais pas, après avoir déshonoré ma couche, poursuivre une vie agréable en me tournant en ridicule, et ta princesse non plus d'ailleurs, et Créon, qui t'a proposé ce mariage, n'allait pas m'expulser de cette terre en toute impunité... Cela étant, si cela te plaît, traite-moi de lionne ou de Scylla qui vit en Tyrrhénie, car ton cœur je l'ai, comme il se doit, blessé en retour.

 

Euripide, Médée, vers 1323-1360, traduction de Danielle De Clercq, Bruxelles, 2005

  

1 Médée, en compagnie de son jeune frère Absyrtos, a pris la fuite avec Jason. Pour freiner leurs poursuivants, dont son père Aeétes, elle tue Absyrtos : elle jette ses membres épars et Aeétes s'attarde pour rassembler tous les morceaux du corps de son fils.

2 Nymphe qui fut changée en monstre marin.

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